Regards de chercheur.se.s sur les tests…

Alors que la phase d’enquête est maintenant derrière nous et que les pistes de tests dans les collectivités participant au programme se précisent, nous avons organisé le 10 octobre notre premier temps scientifique, animé par Magali Talandier. Son objectif : partager et mettre en discussion nos travaux avec des chercheuses et chercheurs pour recueillir leurs observations, idées et ressources utiles pour nourrir ou pousser plus loin les tests d’une part ; mettre en perspective ceux-ci au regard de leurs propres domaines de recherche d’autre part.

Étaient présent.e.s à ce premier temps scientifique :

  • Mathias Bejean, chercheur et professeur en sciences de gestion à l’Université Paris-Est Créteil, spécialiste du management de l’innovation
  • Marie Ferru-Clement, chercheuse et professeure en géographie à l’Université de Poitiers, spécialisée en géographie de l’innovation et développement territorial
  • Sylvain Grisot, urbaniste et fondateur de dixit.net, agence de conseil et de recherche urbaine
  • Adeline Heitz, chercheuse et professeure en géographie et urbanisme au Conservatoire National des Arts et Métiers, spécialiste des questions de mobilités, de transport et de logistique
  • Rachel Linossier, chercheuse et maîtresse de conférences à l’Institut d’urbanisme de Lyon, Université Lyon 2, spécialiste de l’économie industrielle et de la gouvernance métropolitaine
  • Françoise Navarre, chercheuse et professeure à l’Ecole d’urbanisme de Paris, Université Paris-Est Créteil, spécialiste des finances publiques locales et de l’économie de l’aménagement
  • Nadine Richez Battesti, chercheuse et maîtresse de conférences en sciences économiques à l’Université Aix Marseille, spécialiste de l’économie sociale et solidaire et des politiques sociales

 

Tour de piste des tests en préparation

Fruits de notre travail d’enquête, les tests en préparation s’organisent autours de i4 grandes questions : Comment travailler autrement avec les entreprises pour les mobiliser au service d’enjeux territoriaux, environnementaux ou sociaux ? Comment repenser les zones d’activités dans une optique régénérative, de soin collectif apporté aux « communs », mieux piloter les l’implantation des entreprises ? De quelle manière les travaux autour de la matérialité de l’économie et du métabolisme urbains peuvent-ils mieux contribuer aux stratégies économiques locales, et notamment les coopérations entre territoires ? Quelles compétences et outils nécessaires aux développeurs économiques de demain, quel évolution du rôle des élu.e.s sur ces sujets ? Pour en savoir plus, un aperçu ici.

Mythe et réalités des nouvelles approches du développement économique

Dans le cadre d’une enquête sur le Contrat de coopération associant Rennes Métropole et 16 intercommunalités du bassin de vie rennais, Sylvain Grisot a observé une rupture dans les approches et les postures des élu.e.s et des agent.e.s en charge du développement économique. Sous l’effet de la pénurie de foncier notamment, la logique d’attraction et l’accueil des entreprises a fait place à un accompagnement plus exigeant et approfondi des acteurs économiques.

Pour Adeline Heitz, l’action publique et les moyens des collectivités sont aujourd’hui mobilisés autour d’une sélection d’activités, avec une gestion du foncier à deux vitesses, où la lecture centre-périphérie reste d’actualité : les activités très « vertes » au centre, les grandes implantations (notamment logistiques) rejetées en périphérie, celle-ci tentant tant bien que mal de préserver son foncier.

Marie Ferru en appelle à une analyse plus méthodique des choix de localisation des entreprises et de ce qui motive ces choix, pour mieux comprendre les évolutions du système productif.

La révolution des modèles fonciers

Sylvain Grisot souligne la mutation depuis la crise Covid des modalités de portage foncier : certaines intercommunalités ne vendent plus de terrains aux PME mais privilégient la location d’espaces (baux à construction, hôtels d’entreprises). Elles ne répondent ainsi plus aux besoins d’investissement des entrepreneurs mais aux besoins de surface des entreprises.

Rachel Linossier note cependant que les documents de planification, rigides et reposant sur une logique fonctionnaliste, ne permettent pas d’aller plus loin dans cette approche par les usages et d’imbriquer différentes activités, même si on observe une forme d’assouplissement avec l’occupation temporaire. Celle-ci permet en effet de préfigurer et de soutenir l’émergence de nouvelles filières, de développer des solutions plus flexibles. Les associations syndicales libres à l’échelle des ZAE sont également un moyen pour les acteurs publics d’entrer dans cette logique, voire d’associer des foncières, même si la question des surfaces ne doit pas se limiter aux ZAE. Elle en appelle également à une réflexion sur les nouvelles modalités d’utilisation du PLU, plutôt que sur sa modification.

La difficile équation logistique

Plusieurs chercheur.euses le regrettent : aucun des tests envisagés ne porte sur la logistique, qui est pourtant devenue un sujet central des stratégies de développement économique (tout en en révélant les limites), reconnue comme une activité essentielle mais qu’aucun ne veut accueillir sur son territoire (encore moins dans un contexte de ZAN). Dès lors, comment encourager des coopérations, des formes de solidarité et de mutualisation entre territoires ? Comment appréhender les enjeux du secteur, caractérisé par une forme d’hyper-mobilité des entreprises, quand on se place à l’échelle d’un SCOT ?

Adeline Heitz révèle par ailleurs la difficulté des entreprises à se projeter à plus de 2 ou 3 ans, et donc celle des collectivités à évaluer les besoins, d’autant plus que ceux-ci évoluent rapidement en raison de la nature de l’activité, mais aussi de facteurs externes (marchés financiers et de l’immobilier). Un casse-tête pour les collectivités auxquelles on demande désormais d’établir un schéma foncier en fonction des besoins des entreprises de la logistique commerciale.

Quand la gouvernance s’ouvre à de nouveaux acteurs

Rachel Linossier, qui a beaucoup étudié le cas lyonnais, explique que l’arrivée d’un nouvel exécutif municipal a bousculé la gouvernance qui « ronronnait » autour d’une vision d’attractivité. Un comité territorial économique métropolitain a permis d’embarquer de nouveaux acteurs, plus ouverts aux transitions (jeunes entrepreneurs, artisanat, petites entreprises du bâtiment, chambre régionale de l’ESS, union régionale des scop …), jusqu’ici sous les radars et en dehors des logiques grands comptes qui formaient l’épine dorsale de la stratégie de Lyon. Elle souligne par ailleurs la nécessité d’utiliser à bon escient et en plus grande transversalité toutes les compétences des collectivités (par exemple à Lyon, où la Métropole a désormais aussi les compétences départementales, en articulant tous les outils pour l’emploi et l’insertion).

Quelles ressources pour un développement économique local renouvelé ?

Françoise Navarre en appelle à penser la question des ressources des collectivités dans la durée pour accompagner ces nouvelles approches du développement économique (par exemple pour aménager de nouvelles zones d’activités mais aussi pour les gérer durablement), alors que les marges de manoeuvre reculent (recentralisation de la fiscalité locale, tournant austéritaire).

De plus, dans le cadre de coopérations inter-territoriales (comme le PETR de Figeac), les enjeux de partage des ressources fiscales (par exemple à travers les pactes financiers et fiscaux) sont à envisager pour réguler les concurrences fonctionnelles. La raréfaction du foncier avive également les concurrences entre activités sur ce plan : entre résidence et activité économique, laquelle génère-t-elle le plus de ressources ?

Autre frein à cette nécessaire prise en compte de questions de fiscalité : le fonctionnement en silos des collectivités, qui amène à penser des stratégies de développement économique ou de l’habitat par exemple, sans penser les recettes fiscales générées ni les leviers en termes d’exonération ou d’abattement, qui relèvent de la direction des finances. Une sensibilisation des agents à ces questions, ainsi qu’une évaluation des dispositifs fiscaux existants se révéleraient bien utiles.

Tester, et après ?

Pour Mathias Béjean, les tests doivent d’inscrire dans une logique de progrès, d’amélioration, plus que de résolution de problèmes. Il suggère de classer et prioriser les tests suivant leur niveau de maturité (cf concept maturity level) et, quand certaines idées ne peuvent pas être testées « in real life » et/ou dans la temporalité du programme (une nouvelle fiscalité par exemple), d’utiliser des outils de simulation (des jumeaux numériques par exemple), qui permettent malgré tout de créer du concernement. Il pose également la question de la valorisation des tests à la fin du programme, notamment en mobilisant la théorie du changement déjà utilisée au démarrage de Rebonds.

 

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